Eve Gramatzki

Dès que je vois une ligne, j’ai besoin de la détruire. Je suis dans la démolition de toutes mes lignes, de toutes mes taches. Peut être quelque chose se construit-il ainsi. Eve Gramatski



Repères biographiques :

Eve Gramatzki est née à Königsberg (Kaliningrad, dans l’ancienne Prusse Orientale) en 1935. En 1944, l’invasion russe contraint sa famille à se réfugier à Hambourg . Eve a 9 ans. Elle étudie aux Beaux-Arts de 1956 à 1961. A 27 ans, elle s’installe à Vanves, près de Paris. La jeune femme rencontre John Mitchell, Aurélie Nemours et Anne Tronche, critique et écrivain, qui suivra sa carrière et écrira régulièrement sur son travail jusqu’à sa disparition en 2003. De nombreux galeristes s’intéressent à elle - Yvon Lambert, Daniel Templon, Baudouin Lebon ; elle acquiert rapidement une certaine notoriété.

Eve Gramatzki participe dès 1971 à de nombreuses expositions collectives et sa première exposition personnelle a lieu l’année suivante à la Galerie B. de Paris. Dès lors, elle expose régulièrement en France (notamment chez Iris Clert qui défendra longtemps sa peinture) et à l’étranger (New York, Miami, Nuremberg, Hambourg, Copenhague, etc.).

En 1980, Gramatzki s'installe en Ardèche. Cette artiste secrète a besoin de se rapprocher de la nature, de son silence. Son caractère, tout comme son isolement volontaire vont la séparer du milieu qui la soutenait. Mais c’est là qu'Eve Gramatzki réalisera ses œuvres majeures. Elle expose alors dans le Midi, notament à Montpellier et Arles. Elle revient à Paris en 1996, la Ville lui ayant accordé un atelier, mais elle ne s’adapte pas à ce nouvel environnement.

Femme de forte personnalité et de grande culture, la vie et l’œuvre d’Eve Gramatzki resteront marquées par la douleur de la guerre. Cette souffrance, ce déracinement auront déterminé son chemin sinueux, tortueux, solitaire et incompris qui n’aura qu’une issue : sa mort volontaire le 24 mai 2003 à Paris.



Presse :
 
Eve Gramatzki
Le souffle de la lumière

L’œuvre intimiste d’Eve Gramatzki requiert de la part du spectateur une disponibilité, un abandon des repères traditionnels pour se perdre dans un espace qui n’est ni physique ni atmosphérique. Il s’agit plutôt d’un espace mental pour lequel l’imaginaire ne sera guère utile, parce que la vision intérieure est d’autre ordre. L’artiste recourt aux mines de graphite, aux pigments sur papier pour son approche pudique de la lumière. La ténuité des moyens s’accorde au non-dit, à ce qui nu peut s’écrire, ni s’énoncer. L’impalpabilité de l’air rejoint celle des poussières de lumière, dont la présence imperceptible passe par un trait, par quelques hachures ordonnées dans un champ délimité mais dont on perçoit l’immensité. Peu de couleurs, pour une quasi-monochromie toute en vibration. Gramatzki balaie d’un souffle coloré le silence qui précède le premier son. Son geste est celui qui émerge d’un corps dépositaire de la mémoire originelle. Alors il énonce, lentement, apprivoisant chaque ligne, chaque maille qui tisse la grille de lumière. Cette partition incarnée, parcourue de cadences régulières, à la façon du battement du pouls, réveille nos émois oubliés. Cette économie et cette simplicité sont celles que requiert la méditation. Pour cette artiste qui affirmait qu’ « on ne travaille pas avec le cœur, mais avec la tête », chaque trace était présence. S’approcher du visible, sans le secours de l’image, en percevoir le passage, la trace et l’effacement, jamais les mêmes, toujours recommencées, était une tentative de réponse au mystère de la vie. Eve Gramatzki a été jusqu’à ce point de non-retour, laissant à son œuvre la mission de nous initier à ces espaces de lumière.

Lydia Harambourg
Gazette Drouot n°7 du 22 février 2008 (page 157)


Bibliographie :

* « Eve Gramatzki, une géométrie pervertie, un alphabet de la vue », A. Tronche, in Opus International, n° 72, 1979
* « Eve Gramatski », X. Déjean, in catalogue Galerie Nicole Dortindeguey, Anduze, 1987
* « Textures de l'Attente », C. Berner, in catalogue Galerie Bernard Jordan, Paris, 1990
* « Comme de très loin . . . », P. Boutibonnes et E. Gramatski, Livre d’artiste, Ed. Galerie N. Dortindeguey, Paris, 1994 (Voir ci-contre)
* « E.Gramatski. Le souffle de la lumière », Expo Gimpel & Muller, L.Harambourg, in Gazette Drouot, n° 7, Fev. 2008 (Lire l’article ci-dessus)